DU SANG CONGOLAIS DANS LES TELEPHONES PORTABLES
Des appels teintés de sang
Colette Braeckman Le
téléphone portable est devenu plus utile, plus indispensable que le
canif suisse et il est hors de question qu’on le confisque avant
l’embarquement. Et pourtant, ce modeste engin, devenu un élément
indispensable de notre vie quotidienne, a certainement déjà causé plus
de morts que le rouge couteau venu des Alpes. En effet, dans les
composantes du portable se retrouve une pincée de poussière grise,
coltan pour les intimes, colombo tantalite pour les scientifiques. Le
tantale, allié à d’autres métaux, permet d’affronter de très hautes
températures et se révèle une excellent conducteur. Le
coltan, le monde n’en manque pas : Canada, Australie en détiennent des
réserves, mais c’est en Afrique centrale qu’il se révèle le moins cher.
Et pour cause : cette poussière grise est ramassée à la main dans les
collines du Kivu par des femmes et des enfants qui gagnent ainsi un
dollar par jour. Des négociants, associés aux chefs de guerre de la
place, entassent les sacs de « matière » sur les aéroports de Goma et
de Bukavu, d’où des petits porteurs ou des Antonov les amèneront au
Rwanda, avant de gagner l’Allemagne, la Suisse, le Canada, la Belgique… La
violence qui ravage les deux Kivus et qui vient de jeter 800.000
déplacés sur les routes ne nuit pas à tout le monde : elle permet aux
trafiquants de ne pas payer de taxes et d’embarquer leurs sacs dans les
aéroports de brousse, sous la protection des divers groupes rebelles,
Hutus rwandais ou soldats (tutsis) de Laurent Nkunda. Ces derniers, en
échange, reçoivent de l’argent ou des armes, avec au bout du compte, la
même finalité : leur permettre de se battre pour conserver le contrôle
du territoire. Avec patience, le journaliste Patrick
Forestier a fait l’effort de remonter la piste du coltan, en Afrique
centrale certes, mais aussi en Europe où il a rencontré les dirigeants
d’entreprises belges spécialisées dans l’importation (et la
réexportation) de coltan venu d’Afrique centrale. La main sur le cœur,
ces responsables lui ont affirmé qu’ils agissaient en toute légalité,
qu’ils ignoraient la provenance exacte de leur miraculeuse poussière et
le correspondant d’une vertueuse entreprise suédoise, leader sur le
marché, lui a affirmé, sans fournir aucune preuve, qu’il était exclu
que du « minerai de guerre » entre dans la composition de ses très
populaires portables… Déjà
diffusé sur Canal plus, ce film, « du sang sur mon portable » attend
toujours d’être programmé en Belgique. L’attente risque d’être longue,
car l’enquête démontre que notre pays est l’une des plaques tournantes
des trafics de minerais en provenance du Kivu… Voilà qui
explique peut-être la curieuse mansuétude dont bénéficie Nkunda, et les liens qui attachent à la Belgique les rebelles hutus,
dont les chefs ont pris soin d’envoyer femmes et enfants dans
l’ancienne métropole. D’où ils leur téléphonent régulièrement… Normal,
au prix où sont les portables… ------------ --------- --------- --------- ------ Du sang dans les téléphones portables? par Dominique Dhombres LE MONDE | 14.12.07 | 14h09 Pour
confectionner les minuscules circuits électroniques d'un téléphone
portable, il faut un minerai rare, qu'on ne trouve qu'en Australie et
au Congo, le coltan. Y a-t-il du sang dans nos portables ? C'est la
question posée par Patrick Forestier dans l'enquête diffusée jeudi 13
décembre sur Canal+. Ce journaliste est allé voir comment le coltan
était extrait au Sud-Kivu, une région située à l'est de la République
du Congo (l'ex-Zaïre), voisine du Rwanda. Ce sont des adolescents,
parfois des enfants, qui travaillent dans ces mines. L'aéroport
de Bukavu, au Sud-Kivu, est une des plaques tournantes de ce commerce.
Des appareils font la navette entre les pistes de brousse et Bukavu. Ce
sont pour la plupart de vieux Antonov soviétiques. Ils apportent les
produits de première nécessité et reviennent chargés de sacs de
minerai. Les pilotes sont parfois obligés de repartir sans s'arrêter
lorsqu'ils découvrent que la piste où ils ont atterri a changé de
mains. A Bukavu, il n'y a pas de banque ni d'industrie. Mais on voit
s'élever de grandes villas qu'on appelle des"maisons coltan" . Un
prêtre, l'abbé Jean Bosco, répertorie les crimes engendrés par cette
activité : enfants massacrés, viols, femmes enceintes éventrées. "C'est
comme si le Seigneur, en nous donnant ces ressources, nous avait
piégés", dit-il. Dans
le Nord-Kivu, le général Laurent Nkunda, en rébellion contre le pouvoir
central, est à la tête d'une petite armée de 6000hommes. Il se présente
comme le représentant de la minorité tutsie au Congo et vit lui aussi,
malgré ses démentis, de l'exploitation des mines de coltan. En 2003,
l'ONU avait publié un rapport dénonçant le financement des bandes
armées par ce commerce et proclamé un embargo sur le coltan congolais.
Peine perdue. Les négociants étrangers, surtout belges, continuent de
s'approvisionner dans la région.
Certaines
d'entre elles se trouvent dans des zones tenues par des milices
rebelles ou d'anciens soldats rwandais ayant participé au génocide de
1994. Le coltan sert à financer ces groupes armés, qui combattent par
intermittence l'armée congolaise et se livrent à des exactions sur la
population. Ce minerai est ainsi responsable, chaque année, de la mort
de plusieurs centaines de personnes. Patrick Forestier a pu pénétrer
dans une enclave tenue par les anciens soldats rwandais, mais il n'a pu
filmer l'exploitation minière. Il a été plus chanceux avec une mine
restée aux mains des Congolais. De très jeunes gens manient le pic pour
dégager des blocs qui sont ensuite effrités pour former une masse
grisâtre, lavée plusieurs fois. A la fin, il ne reste que quelques
petits cailloux extrêmement denses. Le coltan est ensuite transporté, à
dos d'homme, jusqu'aux comptoirs, où il est vendu 70 euros le kilo.